Ushuaia et la traversée du Drake
Ushuaia
Cette ville est très connue et très éloignée, ceci expliquant cela. C’est la ville la plus australe du monde, à la pointe sud de l’Amérique du sud en terre de feu. C’est le point de départ des expéditions antarctiques, avec des bateaux des croisières Ponant et des quelques bateaux qui comme le nôtre emmènent des touristes un peu allumés.
La ville en elle-même n’est pas spécialement attrayante, elle s’étend sur le bord de mer et est vite remplacée par des collines enneigées. L’ensemble est satisfaisant et selon la météo très changeante peut être vraiment joli. C’est devenu une destination touristique ce qui permet son développement. On y trouve même un grand Hardrock Café.
Nous y sommes arrivé le matin après une nuit inexistante (départ de Buenos Aires à 5h du matin) et un peu moins de 4h de vol. Nous y retrouvons le Marama qui sera notre maison pour le mois à venir.
Dimanche matin, le lendemain, nous partons vers 7h pour profiter de la marée haute et faire notre première étape à Harberton, un hameau qui a connu les pionniers de la région. La traversée se fait au moteur parce que le vent est un peu fort, de 35 à 50 knots quand même, et que c’est un peu court pour passer le temps nécessaire à la montée des voiles. Chacun va se relayer un peu à la barre pour sentir le bateau. Christophe va aussi en profiter pour avoir son premier mal de mer.
Après quelques heures de navigation bien venteuse et houleuse, nous arrivons au premier mouillage d’une longue série.
Première nuit au mouillage
Le mouillage est calme et bien protégé malgré un vent constant et frais. Une soirée tranquille avec un fort bon repas concocté par notre cuisinière Eve, suivie d’une nuit très calme, la dernière avant la traversée. Au matin, on se retrouve pour un petit déjeuner et Olivier, le capitaine, nous annonce un départ après le déjeuner pour profiter d’une météo plutôt favorable. Le vent est toujours présent mais le soleil aussi, par moment. On se prépare au départ et à la traversée du Drake.
La réputation de cette route, considérée comme la plus dangereuse du monde en bateau, n’aide pas à prendre cette traversée à la légère. Elle va prendre entre 3 et 4 jours pendant lesquels tout peut arriver. On est sur un bateau performant, confortable et spacieux, mais rustique, simple et fonctionnel dirait Olivier, qui n’a pas de pilote automatique, on va donc barrer tout du long. La première nuit, au sens nuit noire, va être courte et les suivantes inexistantes, on aura du jour permanent assez rapidement lors de la descente vers le sud. J’ai hâte mais il y a un petit fond d’anxiété qui est sans doute une bonne chose pour aborder ce type d’aventure.
Traversée du Drake
On se réveille tranquillement le matin, petit déjeuner et même déjeuner avant de partir, histoire de laisser les vents se calmer pour quand on arrivera dans les régions exposées.
La traversée du canal de Beagle, entre l’Argentine et le Chili, se fait au moteur dans une mer très calme, avec un léger vent trois quart arrière. Ce n’est pas idéal mais il faut passer par là. On ne peut pas couper entre les îles du Chili pour une raison que je n’ai pas vraiment comprise mais c’est lié à des autorisations que le capitaine n’a pas pu avoir je crois. On va croiser nos premières baleines, 5 ou 6 au moins à quelques mètres du bateau ainsi que quelques dauphins venus jouer avec l’étrave comme ils aiment bien le faire.
Les quarts ont été distribués, avec Christophe on a ceux de 17h, 1h et 9h. Ce sont des quarts d’une heure, ça va passer vite. On s’essaye à la barre sur notre premier quart, encore dans le Beagle donc au calme. On suit la route tracée par le capitaine, c’est assez facile. Pour la suite, ça va être plus folklorique…
Pour le quart de nuit, on est dans la zone un peu plus tourmentée, on a hissé les voiles, la grand voile avec trois ris et la trinquette, Christophe est malade comme pas possible, je le fais donc tout seul. Heureusement que ce n’est qu’une heure ! Le vent tombe et on remet le moteur.
A 9h, la trinquette a été remplacée par le génois et on file plutôt pas mal, dans les 9/10 knots au moins, peut-être plus dans les rafales. Je suis toujours seul, Christophe n’ayant pas émergé et le vent tombe de nouveau, mais pas au point de remettre le moteur.
Un peu plus tard, vers 14h, l’artimon est hissé histoire de garder un peu de vitesse. La météo annonce peu de vent sur la suite du voyage, sauf vers la fin où ça se renforcera un peu, c’est sans doute plus safe comme ça même si c’est moins excitant.
Quart de 17h, toujours seul, Christophe n’ayant pas quitté sa couchette depuis hier soir, le vent est complètement tombé mais il y a un peu de soleil qui met en valeur la couleur bleu profond de l’océan. Tout a été affalé, ne reste que la houle qui fait rouler le bateau. Ce n’est pas très agréable. En attendant, ceux qui ne sont pas de quart dorment, lisent, mangent, discutent, vomissent un peu parfois. Et on avance.
On a mangé et on s’est couché, prêt pour le quart d’1h. Il fait encore nuit mais c’est sans doute la dernière fois. Le vent est toujours absent, on est au moteur dans le roulis. Ce quart est encore solitaire et bien peu passionnant. Je retourne me coucher après l’arrivée de la relève et je vais dormir jusqu’au quart suivant. Quand je dis qu’on passe son temps à dormir… Et à 8h30, surprise ! Christophe est levé et déjà dehors ! C’est pas encore l’extase mais ça va mieux. Le vent s’est levé, il a tourné est et on va remettre les voiles. Que du bonheur. Le bateau file 10 knots et on arrive bientôt à la convergence antarctique, la limite entre l’océan Pacifique/Atlantique et l’océan Antarctique. La température de l’eau va baisser d’un coup de 5 à 10°C, ça ne se mélange pas. On verra bientôt nos premières glaces 😊
Quart de 17h, de nouveau seul, Christophe étant toujours couché. Le bateau est sur des rails sous GV et génois, entouré de quelques pétrels et albatros qui nous suivent depuis des heures. Une heure passée bien vite malgré le froid qui s’accentue.
Nouvelle nuit, de moins en moins noire, à 1h du matin il ne fait pas vraiment jour mais déjà plus vraiment nuit non plus. Le quart passe très rapidement, seul à la barre mais au moteur. Le vent ne reviendra pas avant la fin de journée. Même topo pour le quart de 9h mais Christophe se sent mieux et il prend la barre. Le soleil est là avec une nuée d’oiseaux dont un pétrel à damier très mignon. Je passe une heure encore derrière à finir mon premier livre sur le pont juste à temps avant que les nuages ne regagnent et que le froid se fasse de nouveau sentir. Il va neiger à gros flocons peu de temps après avant le retour du soleil à nouveau.
Finalement, le Drake qui fait si peur ne tient pas vraiment ses promesses en termes de violence. C’est peut-être une bonne chose pour la sécurité mais tout le monde espère un peu plus d’action sur le retour !
Nouveau quart de nuit, 1h du matin avec Christophe qui va de mieux en mieux. Mer quasiment d’huile, pas de vent, pas super palpitant encore. Le côté exotique vient de ce qu’il fait quasiment jour encore, même si le soleil est couché. On aperçoit les Shetland du sud à babord mais on ne s’y arrêtera pas, la météo ici est trop capricieuse pour assurer un mouillage tranquille. A 9h, nouveau quart, le vent s’est levé, on hisse de nouveau les voiles, et c’est reparti à naviguer !
La terre est en vue, on va se rapprocher tranquillement des premières îles de la péninsule, en croisant nos premiers icebergs dont un d’un bleu profond, magnifique. Ils sont bleus quand ils sont très anciens et ont été comprimés par le glacier pendant des millénaires, ce sont des morceaux d’histoire de la terre flottants. Le mouillage est prévu à Melchior Islands, entre les îles Lambda et Eta (les îles dans cet archipel ont le nom de lettres grecques, quel manque d’imagination ou quel génie, c’est selon) et entre deux plus grandes îles Brabant et Anvers (nous voilà en Belgique…)
Le bateau est ancré, amarré par l’avant et par l’arrière par des aussières, il ne bougera pas de la nuit. On croise nos premiers manchots un peu loin mais on en verra d’autres. Charlie nous fait des plans avec le drone d’André qui vont être magnifiques, hâte de voir ça en vrai. Sur la sortie suivante du drone, il apprend douloureusement qu’il n’y a pas de capteur de proximité lorsqu’on fait marche arrière sur un glacier. Mais on apprendra un peu plus tard que ces drones sont bien conçus et qu’ils résistent à une immersion prolongée dans l’eau salée même très froide lorsque bien séché il redémarrera au grand soulagement d’André.
De l’avis d’Olivier, notre capitaine, on aura eu une traversée du Drake particulièrement facile, avec une fenêtre pile au bon moment, ce qui augure bien de la suite de nos aventures. Demain, on repart en navigation pour aller au premier lieu de ski en passant par des endroits qui vont être magnifiques et par grand beau. Miam…